Trois militantes activistes
kurdes ont été assassinées à Paris. Les corps ont été retrouvés ce matin au Centre d’information kurde de Paris. De nombreux
Kurdes et des spécialistes de la question kurde pensent qu’il s’agit d’assassinats politiques, en
particulier des meurtres visant des membres du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, principal mouvement d’opposition kurde en Turquie. D’autres estiment qu’il s’agit de règlement de
compte à l’intérieur du PKK, même si cela paraît peu probable aux yeux des Kurdes parisiens.
Les Kurdes sont une ethnie au moins deux fois millénaire qui, à ce jour, n’a pas d’Etat qui puisse les représenter et porter leurs voix et leurs spécificités. Les Kurdes sont issus de la région du Kurdistan,
répartie sur plusieurs pays et Etats comme l’Irak, l’Iran, la Turquie, le Kirghizstan, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, etc. On estime à plus de 29
millions les Kurdes répartis dans ces différents pays, sans compter près d’un million de Kurdes dispersés en Europe. Les Kurdes représentent près de 24 % de la population en Turquie. En
France, on estime que le nombre de Kurdes s'élève à environ 400 000.
La langue des Kurdes est d’origine iranienne mais s’est diversifiée en de nombreux dialectes. Il faut noter que le PKK, parti kurde, semble utiliser le turc comme langue commune entre les différents groupes kurdes. Aujourd’hui, les Kurdes sont majoritairement musulmans mais ont gardé leur culture kurde, c’est-à-dire non arabe. Les Kurdes sont cependant divisés en plusieurs groupes linguistiques et religieux. En effet, si la majorité est sunnite, il existe des Kurdes chiites et chrétiens et même zoroastriens.
Les ancêtres des Kurdes sont les Mèdes, peuple ayant vécu au VIIème siècle avant notre ère. Les Mèdes étendaient leur territoire et leur empire sur l’actuel Iran. Les ennemis des Mèdes étaient
les Assyriens et les Perses. Ainsi en 612 avant notre ère, les Mèdes dominèrent le puissant empire assyrien. Cette date, 612 avant JC, est considérée
comme le début de l’histoire de l’identité nationale kurde. Mais le territoire des Mèdes fut ensuite envahi par les Grecs, les Romains et les
Arabes. Les Kurdes ont toujours voulu résister à l’arabisation et à l’islamisation de leur société. Aux IXème et Xème siècles, face à l’impérialisme arabe, les Kurdes tentèrent
d’affirmer politiquement leur identité en créant des principautés. Malheureusement, des vagues d’invasions venues des steppes d’Asie centrale empêchèrent la stabilisation d’un pouvoir centralisé
kurde. Les Turcs seldjoukides, entre le XI et le XIIIème siècle, régnèrent sur les territoires de ce qui est aujourd’hui l’Iran, l’Irak et
certains territoires de l’Asie Mineure. C’est à cette époque que la province du Kurdistan fut créée par un des derniers Souverains de la dynastie des Seldjoukides. A la fin
de la suprématie seldjoukide, les Kurdes reprirent le flambeau de l’hégémonie musulmane en la personne de Saladin, Sultan d’Egypte et de Syrie, qui refoula les Croisés loin de Jérusalem. Cette
domination kurde sur le monde musulman durera près d’un siècle, jusqu’à l’arrivée des Turco-mongols. Il faudra attendre le XVème siècle pour que les
Kurdes retrouvent leur identité collective mais dispersés dans différentes petites principautés. Au XVIème siècle, la région du Kurdistan
devient un enjeu pour les grandes puissances qui l’entourent : la Perse et l’Empire Ottoman. Après des négociations et diverses pressions de la part des deux grandes puissances, les
Kurdes acceptent d’entrer dans l’Empire Ottoman, en contre-partie d’une paix durable pour les leurs et d’une certaine dose d’autonomie. Le XVIème
siècle représente l’âge d’or de la culture kurde (littérature, philosophie, histoire, etc.). Et pendant trois cent ans, les Kurdes vont connaître la paix dans une quasi indépendance du pouvoir
central ottoman.
Les idées de la Révolution française sur la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’idée d’un Etat-nation se répandent dans toute l’Europe et atteignent les territoires kurdes dans la
première partie du XIXème siècle. Des luttes et des guerres émergent dans ce contexte pour tenter de créer un Kurdistan indépendant, en vain. L’Empire Ottoman, la Turquie, qui fait face à de
nombreuses revendications autonomistes ou indépendantistes, est alors conseillée par les puissances occidentales. De plus, les Kurdes n’arrivent pas à s’entendre et à s’unir. A la fin de la Première guerre mondiale, les Kurdes envoient une délégation à Versailles afin d’inclure dans les Traités de paix la création d’un Etat
kurde. Un Traité, le Traité de Sèvres, signé en 1920 prévoit la création d’un Etat kurde sur une partie du Kurdistan mais ce Traité ne sera jamais appliqué. En Turquie, puisque l’Empire Ottoman a disparu, Moustapha
Kemal, le nouveau leader turc (qui accordera le droit vote aux Turques en 1934...) promet la création d’un Etat turc et kurde. Mais la question du pétrole
émerge et avec elle, la convoitise des grandes puissances limitrophes, comme l’Irak, ou occidentales. Ainsi, la région kurde de Mossoul, riche en pétrole, sera annexée par l’Irak avec l’accord
des Britanniques. Dans les années 20, le Kurdistan est partagé entre plusieurs états et l’autonomie politique et culturelle des Kurdes disparaît.
C’est à la fin des années 70, que le mouvement séparatiste kurde rebondit
avec la création du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, par Abdullah Ocalan. Abdullah Ocalan, dit Apo, est né en 1948 dans une
famille modeste. Après avoir été
fonctionnaire, Ocalan s’inscrit à l’université en cours de sciences politiques. En 1978, il crée le PKK, parti politique de tendance marxiste. En
1984, le PKK entre dans une phase plus violente et déclare la guerre à l’Etat turc, lutte qui provoquera près de 45 000 morts à ce jour. Le PKK est alors considéré comme un mouvement
terroriste par la Turquie mais aussi par l’Europe et les Etats-Unis. Pourtant, Ocalan proposera plusieurs trêves qui seront toutes refusées. En 1999, il est arrêté au Kenya par des agents turcs
et transféré en Turquie où, après avoir été condamné à mort, il purge une peine de prison à vie sur l’île d’Imrali.
Si, en Turquie, de nombreux Kurdes sont intégrés dans la société, et si la Turquie est en cours de négociations avec les représentants kurdes sur la question d'une plus grande reconnaissance et d'une plus grande
autonomie, il ne faut pas oublier que la Turquie continue de traquer les Kurdes indépendantistes sur le sol irakien en envoyant des avions bombarder les bases et les villages kurdes (année 2012).
De plus, en Irak, les Kurdes ont plusieurs fois été victimes de la dictature de Saddam
Hussein. Dans les années 80, les Kurdes soutenaient l’Iran dans sa guerre avec l’Irak. Pour se venger, Saddam ordonna des attaques d’armes chimiques sur la population kurde. Dans les
années 90, les Kurdes tentèrent de se révolter mais se firent violemment réprimés par l’armée irakienne. Les Kurdes fuirent vers l’Iran et la Turquie. L’ONU intervint alors pour permettre le
retour des Kurdes dans leurs villages.
L’histoire et le destin de la nation kurde sont mouvementés. Actuellement, deux régions du Kurdistan existent officiellement, en Iran et en Irak. L’Etat kurde reste à inventer, dans la mesure où les grandes puissances occidentales ou orientales le laissent exister et si les négociations entre les Kurdes et la Turquie peuvent aboutir concrètement.
Marie-Laure Tena – 10 janvier 2013
Sources : RFI.fr - Institutkurde.org – tlfq-ulaval.ca – directmatin.fr – delphine.biaussaut.over-blog.fr – LeMonde.fr